La mémoire entre science et société

Le 1er janvier 2008, l’ouverture à Corte du laboratoire « Lieux, Identités, eSpaces, Activités » (UMR 6240 LISA - Université de Corse/CNRS) dédié à la recherche en Sciences Humaines et Sociales, nécessite parmi ses grandes lignes d’action que se mette en place une stratégie fondée sur les nouvelles technologies du numérique appliquées au domaine corse, en même temps que se pose la question de bâtir un centre d’archives documentaires traditionnel consacré au corse et plus globalement aux langues et aux littératures dites minorées. Tous deux viendraient suppléer à une fonction scientifique, à une formation par la recherche et à une politique de restitution des connaissances auprès de la société civile, capables de favoriser le développement du territoire par la production et la démocratisation des savoirs.

Intimement liée à l’émergence du premier et unique laboratoire de Sciences Humaines et Sociales en Corse, le laboratoire "Lieux, Identités, eSpaces, Activités" (UMR 6240 LISA), la Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses désignée par l’acronyme M3C témoigne de telles orientations dès le tout départ. Inscrite dans les besoins actuels de la recherche, elle atteste de la transformation progressive des Humanités par le numérique dans le même temps qu’elle témoigne d'un ancrage social de la recherche en répondant à une revendication historique très vivace depuis plusieurs décennies.

La M3C est également l'axe transversal auquel s’adosse la production scientifique de l'équipe « Identités, Cultures : les processus de patrimonialisation » dont la pluridisciplinarité très forte rassemble notamment la littérature, l’éducation et l’histoire de l’éducation, la linguistique, l’histoire, l’histoire médiévale, l’anthropologie, l’archéologie, la sociologie, la musicologie, l’information et la communication, toutes rattachées à une problématique corse, insulaire et méditerranéenne. Elle en constitue le socle commun, assurant pour grande part la mise en œuvre de sa programmation événementielle et recueillant in fine à dessein d’archivage, de valorisation et de médiation, ses publications et plus généralement les résultats de sa recherche.

L’entreprise liminaire était dès lors ardue, que de déterminer parmi les outils du numérique, quelles méthodes seraient les plus appropriées à « informatiser » la production d’un savoir sur la Corse. Il fallait surtout considérer par ses usages et grâce à ses pratiques, comment la M3C parviendrait à reconstruire et à diffuser une culture scientifique et sociale au carrefour du monde numérique, de la production universitaire et d’un public plus large, tout en prenant conscience qu’une telle culture évoluerait et qu’elle serait rapidement remise en question par l’effet de cette entremise.

La plateforme numérique de la M3C constitue un espace culturel inédit, fort des choix qui permettent de la distinguer. D’abord parce qu’elle est entièrement consacrée à la Corse, ensuite en raison de la pluridisciplinarité des documents qu’elle brasse et enfin grâce à la programmation quadriennale du programme qui lui donne matière, le Boost Cultural Competence in Corsica (B3C). Nulle part consultable en l’état, n’étant d’ailleurs concurrencée par aucun corpus scientifique aujourd’hui existant, la M3C rassemble pour la première fois en un seul créneau de savoir, plusieurs types de contenus issus de supports originels à la nature très diverse : des manuscrits, des imprimés anciens ou modernes, des brochures in-folio, des périodiques, des microfilms, des contenus sonores, des clichés, des vidéos, des cartes, des supports multimédias. Elle propose d’offrir en archive ouverte sous leur forme numérisée des documents historiques comme par exemple La Istoria di Corsica de Filippini (1594), Sicilia antica, Sardinia e Corsica de Philipp Cluver (1619), Reymüthige Briefe die von der Krone Frankreich gemachte Eroberung der Insel Corsica de Frédéric de Neuhoff (1770), une partie du Bulletin historique de la Corse, les correspondances manuscrites de Pasquale de Paoli (1755 à 1793) ou encore les premiers cours manuscrits en latin de l’Université de Corse datés de 1765 (droit des institutions civiles, géométrie élémentaire et droit naturel) écrits de la plume Auguste Nobili Savelli et Giuseppe Ottaviano. La M3C donne en outre accès à une série de manifestations scientifiques, colloques, workshops, séminaires, journées d'études qui y ont été organisées depuis 2008.

L’utilisation d’une plateforme de données vouée à unifier le fonds corse, peut certes sembler paradoxale au premier abord pour la raison que l’on considère plutôt aujourd’hui cet outil, la plateforme numérique s’entend, comme un catalyseur économique fondé sur un modèle d’échange et de production plutôt commercial que culturel. Il n’en demeure pas moins que l’on peut utiliser l’expédient numérique comme modèle éthique et scientifique fort, sans le plonger dans le système dominant d’un principe fondé sur le profit, mais en le contrebalançant au contraire par l’ouverture progressive d’une voie « ouverte » plaidant pour une liberté d’accès à la science.

La volonté de structurer l’information a été mise au service de la nature particulière du fonds corse. Ainsi se répartissent en trois grandes lignes, les productions scientifiques de l'UMR 6240 LISA, les collections patrimoniales issues de notre politique de collecte de fonds et l'espace de médiation scientifique : d'une part, les parcours thématiques servant à diffuser auprès du grand public en les scénarisant les données numériques brutes, d'autre part les expositions virtuelles proposant des contenus immersifs en 3D.

Apportons sur les collections patrimoniales quelques points de précisions. En tant que choix de vitrine digitale aujourd'hui assez répandu, elles répondent à une réalité tangible du fonds corse, à savoir que ses fragments demeurent souvent indissociables des donateurs, des légataires ou des collectionneurs qui leur ont donné corps. Ainsi trouve-t-on par exemple à Corte, à la bibliothèque de l’Università di Corsica Pasquale Paoli le fonds Emmanuelli et des reliquats du fonds François Flori, du nom de l’un des bienfaiteurs de ces fragments de collection actuellement consultables. Aux archives municipales de Bastia, le fonds des archives patrimoniales porte le nom de l’un de ses mécènes Tommaso Prelà, médecin du Pape Pie VII parmi d’autres donateurs comme le docteur Antoine Mattei, le chanoine Letteron, Gian Carlo Gregorj. La liste des exemples à invoquer est longue. Chaque fonds, chaque fragment de corpus documentaire sur la Corse ne peut que très difficilement se démettre du patronyme ou du lieu à la faveur desquels il existe. Sans doute pourrait-on voir ici une forme de caractérisation et d’appropriation particulièrement vivaces pour des objets "identitaires" qui restent à jamais liés à la Corse, doublée d’un goût irrémédiable pour l’archive qui n’échappe à aucun passionné de ces riches bibliothèques.

Les collections digitales de la M3C sont issues majoritairement de fonds collectés. Elles sont associées au contenu librement consultable et téléchargeable de la ressource toutes les fois que la négociation des droits patrimoniaux l’a rendu possible avec les éditeurs et les auteurs, ou alors qu'il appartient au domaine public.

On peut mettre ici en exergue quelques-uns de ses florilèges documentaires les plus emblématiques :

  • Les productions scientifiques du laboratoire "Lieux, identités, eSpaces, Activités" (UMR 6240 LISA) témoignent de l’intérêt rapidement perçu d’organiser nos données pour mise en ligne après négociation des droits, afin de favoriser le processus d’archive ouverte en même temps que la libre expansion des usages et pratiques de la langue et de la culture corses.
  • L’inventaire préliminaire du patrimoine de la Corse sur la base de territoires pertinents (microrégions de la Corse), mené en partenariat avec le ministère de la Culture (base Mérimée), est l’ultime étape de dévoilement au grand public, de plus de 6730 fiches d’inventaire et 54991 photographies réparties sur 134 communes de l’île. Elle fait suite aux phases de formation d’une promotion d’étudiants aux techniques du patrimoine, à la recherche documentaire en archives, et au recueil des données sur le terrain.
  • La revue littéraire corse Bonanova (41 numéros parus entre 1998 et 2020) et le fonds iconographique qui lui est associé, sont un cas exemplaire de contribution à la diffusion des productions en langue corse dont le tirage restreint et vite épuisé, justifie l’usage du numérique qui pérennise des sources textuelles trop rapidement introuvables malgré la réelle politique d’essor de la langue corse soutenue par le militantisme culturel des éditeurs locaux depuis les années 80.
  • La collection numérique de littérature corse, composée des textes fondateurs ou de référence, piliers incontournables du Riacquistu comme c’est le cas pour E Sette chjappelle écrit par Gjacumu Fusina, bâtit un périmètre de sauvegarde pour des ouvrages souvent laissés sans reparution récente dans le paysage de l’édition scientifique. La pratique numérique continue ainsi de faire évoluer le trajet de ces publications scientifiques de façon très positive, en éludant la question des coûts générés en pleine crise de l’édition, et par voie de fait en se démarquant du système éditorial traditionnel, pour continuer à stimuler du plus qu’il soit, leur partage ainsi que leur circulation. Une telle décision visant à « ouvrir » les archives de la littérature corse sans les soumettre à embargo de plus de quelques mois, ni aux lois de la vieille culture de l’imprimé, ne se mesurera que par l’effet produit. Et il ne peut qu’être bénéfique si le numérique implante plus profondément sa trace dans les mémoires, favorise l’assimilation personnelle du lecteur et relance les retombées culturelles. Il semble que nous soyons davantage sur cette ligne d’hypothèse favorable aux productions corses et à son lectorat, sans même que la démarche choisie ne vienne faire ombre aux intérêts de l’éditeur tout comme à ceux des auteurs. Dans le strict respect des droits négociés avec le monde éditorial, d’accès retardé de 12 ou 18 mois voire plus des productions littéraires, et de pari lancé pour l’accès libre, le modèle de convention de mise en ligne sur la plateforme de la M3C établit un lien stable et pérenne vers ces ressources, non soumis à la volatilité numérique que l’on connaît.
  • Autre collection emblématique, le fonds Chiatra constitue un témoignage photographique peu commun sur l’île. Il présente la version numérisée de deux-cents plaques photographiques au bromure d’argent qui immortalisent des scènes majeures de la vie agropastorale entre la fin du XIXe siècle - les tous premiers clichés datent de 1891 - et la première moitié du XXe siècle. Ce fonds inédit atteste de goûts du photographe pour des instants de vie villageoise publique ou intime qui ont fait battre le cœur des villages corses du siècle dernier. Ces instantanés particulièrement marquants furent collectés avec une volonté indéfectible : il se devine sans peine la passion inextinguible des tous premiers photographes. À cette époque, le procédé était encore rare, coûteux et donc peu accessible au grand public. Que dire lorsqu’à cette rareté, se lie celle du témoignage inédit tout autant singulier d’une société vivante, aux racines populaires et agropastorales ?

L’écueil de passer d’une logique d’acquisition à une accumulation facilitée par le formidable espace de la toile, fut pour le fonds corse beaucoup moins épineux. Les données ne sont pour l’heure ni stratégiques, ni de grande taille. S’il demeure vrai qu’une telle menace plane sur les vastes ensembles de contenus convoités par les tenants d’un modèle économique rentable, elle atteint dans une moindre mesure la culture numérique de la rareté, entravée par l’accès à la compréhension de la langue. Ainsi il semble que nous puissions bénéficier sous certaines hypothèses, d’un modèle plus vertueux à faire s’épanouir sous les auspices de la science ouverte. Tout autant visible et accessible grâce à l’outil de plateforme numérique, générant un espace de dialogue, bénéficiant des avantages paradoxaux d’un lectorat restreint, il est à parier que ce chantier s’inscrive dans une vision d’intérêt général.

Quelques précisions à apporter quant aux parcours thématiques, premier volet consacré à la médiation scientifique : ils sont une scénarisation de nos collections qui permettent de les rendre accessibles au plus grand nombre. Des itinéraires virtuels assurent ainsi une étape de médiation scientifique en construisant un environnement propice non plus à la recherche mais à un profil de visiteur qui peut être le plus éloigné possible des cercles de production du savoir. Par une adaptation souple à l’auditoire qu’ils touchent, les parcours thématiques constituent un socle de discours alternatif qui répond au goût prononcé du grand public insulaire et diasporique pour la connaissance de la société et de l’histoire de la Corse. Dans cette forme d’échange collaboratif, le numérique permet l’effectivité d’un modèle plus démocratique du savoir, donnant à chacun le sentiment intime de contribuer de façon étroite à une culture corse en train de se dévoiler sous ses yeux. On rejoint ici l’un des fondements du libre partage avec la prise de pouvoir de l’individu qui est l’une des promesses du numérique, sa capacité également à fédérer autour d’un savoir commun, à construire une identité de groupe autour de ces connaissances, selon un principe tout particulièrement porteur dans l’écosystème social où nous nous trouvons avec le sujet corse.

Comme second pan consacré à la médiation scientifique, la M3C propose des contenus immersifs sous forme d'expositions virtuelles, en prolongement des publications scientifiques de l'UMR 6240 LISA. Elle offre un accès permanent et libre aux documents numériques qui font suite aux expositions d’origine. Quand vous le souhaitez et sans contrainte de déplacement, tout le temps loisible est laissé à cette découverte conviviale et personnelle du monde de la recherche.

La médiation se poursuit avec la production d’outils pédagogiques réalisés à partir du gisement de données de la M3C : des DVD  d'apprentissage du Corse avec In corsu (méthode d’autoapprentissage), In corsu+ (jeu de découverte patrimoniale en 4 versions insulaires, Corse, Sardaigne, Baléares, Sicile), I Sgiò di a Rocca (scénarisation de l’histoire des seigneurs de la Rocca avec accès aux données historiques), le dictionnaire multivariétés U Muntese, des expositions et des guides archéologiques et patrimoniaux ; une bibliothèque sonore pour enfants racontant les contes et légendes de Corse et de Méditerranée ; une revue littéraire en langue corse Bonanova, etc.

Des activités de restitution de la science à la société corse reconduites et programmées annuellement sont elles aussi indispensables : Fête de la Science, Girandella di a lingua, Festa di a Nazione, exposition pour le Printemps des Poètes (U 14 : cent’anni fà réunit à titre d’illustration, les photos d’archive des soldats de la Grande guerre accompagnés de textes littéraires).

L’élargissement du réseau de consultation du fonds corse par la naissance d’une plateforme numérique comme la M3C s’imposait en conséquence comme un nouveau départ, un nouveau souffle à inculquer à une culture souvent confidentielle, afin qu’elle devienne culture ouverte.

Une telle initiative a ceci de paradoxal qu’elle s’est servie de l’immatérialité du numérique (nommé à tort "virtuel") pour pouvoir unifier, diffuser et rendre concret un savoir comme jamais il ne l’avait été auparavant. Soumis aux écueils de l’émiettement, de la confidentialité, du fétichisme du collectionneur, de la conservation précaire, du dédain culturel, de l’oubli, le fonds corse repart d’une telle initiative pour prendre le tournant indispensable du digital. Le numérique sert de pierre angulaire à la revivification des études sur la Corse.

La question de l’obsolescence des techniques mises en œuvre pour bâtir toute plateforme numérique qu’il faut refondre régulièrement afin d’en assurer la pérennité, occupe une place relative pour un fonds d’archives sur la Corse. La réplication imparfaite sur de nouveaux supports renvoie plus globalement, on le sait, à la problématique de la copie des sources. Cette dernière demeure quant à elle, bien plus cruciale dans le processus de patrimonialisation sur la Corse qu’elle concerne des archives sensibles vouées à disparaître. Telle est la raison pour laquelle la M3C choisit de se doter aussi d’une bibliothèque d’ouvrages qui puisse laisser également à notre disposition et aussi souvent que possible, la qualité intacte de l’original qu’aucune copie numérique ne parviendra jamais à remplacer.

Le programme M3C s’institue donc en tant que démarche de sauvegarde d’un patrimoine culturel en disparition, par l'entremise d'un processus de diffusion vers le monde numérique.

La salle de consultation documentaire

Du fait de la nature à la fois symbolique et attrayante des archives sur la Corse, pour la raison également que le livre demeure le support historique de la transmission du savoir, le deuxième volet de la M3C fut de construire une bibliothèque pluridisciplinaire ouverte au grand public. À une époque où de nombreuses institutions patrimoniales jusqu’à présent plutôt conservatrices dans leurs usages, font évoluer la mission traditionnelle de l’archivistique en mettant en place une politique permanente de valorisation de leurs fonds par le biais d’expositions temporaires, de parcours thématiques, de musées virtuels, de lectures immersives, il ne sembla ni éculé ni superflu de poser les jalons d’un fonds documentaire corse au laboratoire. La menace de l’obsolescence du livre, intimement liée à la question du pouvoir de diffusion de l’information et injustement mise à l’index dans les discours actuels des partisans du tout numérique en tant que frein à  l'efficacité et au progrès communicationnels, a semblé être un faux problème. L’archivage des sources et la préservation de l’objet livre, au contraire, en tant que future condition d’innovation pour l’évolution du modèle numérique ou de toute autre forme de véhicule technique dont nous ignorons encore ce qu’il sera, a paru être un viatique beaucoup plus pertinent.

La bibliothèque ainsi construite s’articule autour de deux missions principales : l’archivage et la valorisation. L’archivage répond à la technicisation grandissante des métiers des archives, et la valorisation à leur démocratisation. L’importance de collecter un fonds propre qui soit en mesure de donner une identité scientifique et culturelle singulière à la salle de consultation documentaire de la M3C, est apparue comme immédiate. Cela lui servirait d’une part de levier de réputation, et contribuerait d’autre part à bâtir un écosystème local ou le livre et le numérique forment une entente cordiale.

Le choix fut pris d’acquérir les publications récentes sur la Corse, toutes disciplines confondues, majoritairement depuis le tournant des années 90 qui marque l’essor réel de la politique éditoriale de soutien à la langue et à la culture corses, et de rassembler aussi une collection de livres d’histoire à valeur patrimoniale, exposés au fur et à mesure par roulement concerté avec les expositions grand public du laboratoire.

Ces ouvrages patrimoniaux, libres de droit, ont leur pendant numérique sur la M3C au sein de la collection des « manuscrits et ouvrages rares ou anciens », ce qui solutionne leur partielle muséification, et ce qui compense aussi le choix de ne pas les laisser feuilleter. Livrer des objets d’archive trop fragiles à la disposition de chacun, cela n’aurait jamais permis d’assurer leur survie matérielle sur le long terme.

Parlons maintenant du cachet patrimonial : lorsque l’opportunité s’est présentée de récupérer des pièces patrimoniales sur la Corse, lors de la vente aux enchères Leclere en avril 2016, l’Università di Corsica Pasquale Paoli a stratégiquement appuyé notre démarche. L’acquisition du Disinganno intorno alla guerra di Corsica de Curzio Tulliano et d’une lettre de Pasquale Paoli écrite à Corte le 9 juin 1794, adressée à « ces Messieurs du comité de sûreté à Rogliano » atteste si besoin en était, de l’écueil réel auquel se heurte la constitution d’un fonds d’archives patrimoniales évoqué plus haut.

Cela laisse présager aussi du chemin à parcourir à dessein d'acquérir des objets reconnus sur le marché de l’art, des manuscrits et autographes comme étant une valeur ajoutée symbolique et surtout financière. Preuve en est également, on ne saurait préciser s’il s’agit ici d’une déviance trop humaine ou d’un succès manifeste, de la vente de fragments de correspondances apocryphes prétendument écrites de la main de Pascal Paoli lors d’une adjudication aux enchères à New-York.

Le contexte d’engouement pour la revalorisation des fonds documentaires, lutte contre le mal originel de l’archive. Il prétend en effet créer et dynamiser quelque chose qui a souvent été archivé parce qu’archi vu, trop figé et statique pour renouer un intérêt avec le présent. L’archive, relique poussiéreuse parvenue depuis une époque achevée, révolue et parfois située, soumise à l’égrènement de l’Histoire, est foncièrement recluse sur un passé lointain. Comment la soumettre dès lors au présent performatif, bouillonnant, innovant du numérique alors que le temps vient la figer peu à peu ? Est-elle dès lors vouée à ne servir que de preuve tangible à l’authenticité historique ? Porte-t-elle irrévocablement en elle cette estampille « antiquisante », qui permette d’en connaître ou d’en apprécier sa seule et ultime valeur ? Autant de questions que le numérique et ses usages remettent au goût du jour.

L’archivage relève plutôt d’un souci humain, tiraillé par un paradoxe : rendre disponible hic et nunc le plus grand nombre de sources que l’on veut en même temps pérenniser. Autrement dit cela implique une immédiateté continuelle, selon une action réitérée et sans cesse renouvelée. C’est ainsi qu’il faudrait distinguer l’archivage du stockage ou de la conservation, dont les significations ne renvoient pas à un déclenchement continuel du procès. Alors que ces derniers s’assignent comme mission principale de détenir quelque chose en lieu sûr, de le maintenir hors du temps, l’archivage suppose quant à lui l’accès immédiat aux documents, laissant ouvert le champ possible de leur utilisation permanente.

Telle est la raison pour laquelle la salle de consultation documentaire, du statut de lieu de passage qui servirait de vitrine au fonds corse, a été intégrée à la logique de diffusion des contenus patrimoniaux et des travaux de la recherche : sollicitée pour ses contenus par les services de communication ou de valorisation de l’Université de Corse afin d’en porter l’estampille valorisante, elle est un lieu de repère qui relaie potentiellement les objets de savoir spécifiques destinés aux universitaires (volet recherche), aux étudiants, lycéens, collégiens voire aux petites sections (volet pédagogique) et à la société civile (volet social). Ces trois cercles communautaires focalisés sur notre fonds, dotés de trois dynamiques de lecture différentes sur l’objet d’archive, lui trouveraient ainsi chacune une utilité en multipliant les échelles de compréhension et de valeur, depuis un intérêt interne au sein du laboratoire jusqu’à une reconnaissance publique de l’utilité sociale de la recherche.

Ainsi, une solution envisageable pour le fonds corse était d’établir un dialogue plus personnel entre l’archive et la marche contemporaine de la société insulaire, de rendre perceptible son large pouvoir d’évocation avec le présent. Comment ? par l’entremise d’un lien tangible avec « l’herméneute » qui la découvre et la communauté dont il fait partie. Une telle démarche, il est impossible qu’une plateforme numérique la mène à bien si elle n’a pas à son flanc la matérialité de l’objet livre auquel on appose une étiquette matérielle d’authenticité, pensé dans un espace d’accès adéquat et adapté aux interactions avec un public d’usagers.

Il convient en d’autres termes, de mettre sous les yeux par le biais d’un parcours de lecture : promouvoir le fonds d’archives locales et régionales sur la Corse en le scénarisant, renouveler régulièrement en variant les corpus thématiques à partir des disciplines des axes de recherche du laboratoire UMR 6240 LISA, pressentir les besoins par-delà la mise à disposition sur site d’un catalogue avec système de requêtes ; en un mot, reconnaître au fonds corse une utilité institutionnelle, concrète, transversale et pluridisciplinaire.

Le fonds de la salle de consultation documentaire de la M3C représente en 2022 l’équivalent d'environ 3000 ouvrages soumis à accès par un règlement intérieur, et qui en fait un lieu public ouvert au quotidien à tous grâce notamment à l'implication active des doctorants de l'UMR 6240 LISA. La politique d’achats des publications se poursuit annuellement par la voie d’une mise en marché globale, permettant l’acquisition systématique des dernières parutions toutes disciplines confondues, sur la Corse. Ceci est aujourd’hui entièrement visible en rayonnage et indexé au moyen d'une cotation. Les 250 mètres linéaires disponibles avec la salle de stockage sont suffisants à prévoir plusieurs années de construction de ce fonds. Les dix postes de consultation permettant d’accéder au catalogue de la M3C, sont ajoutés afin de procéder à des recherches rapides. Pour des raisons de droit patrimonial évidentes, il est bien entendu actuellement possible de consulter intra muros, sur demande, environ 5000 entrées documentaires en plus que sur la plateforme numérique.

À en juger par les chiffres, nous sommes toutefois très loin de pouvoir prétendre à l’exhaustivité mais en matière de fonds corse, cela est-il réellement plausible ? lorsque l’on constate qu’aucun catalogue d’institutions publiques, BNF et archives nationales comprises, ne détient les exemplaires de manuscrits ou de livres qui se trouvent dans les rayons de collectionneurs corses passionnés, le défi semble devenir gageure. Et lorsque par hasard, on en retrouve livrés aux enchères chez Drouot, Loeb-Larocque ou Auction.fr, c’est pour trouver acquéreur en Allemagne ou bien en Amérique latine... En résumé, il ne semble pas possible aujourd’hui de se confronter sans un appui institutionnel fort, à l’émiettement continuel des sources sur la Corse et son essaimage semble à envisager comme un postulat de principe.

Pour l’élaboration de la partie recherche documentaire, le choix du système intégré de gestion de bibliothèques (SIGB) se porte sur Koha même si le nombre de notices était en ce qui nous concerne, relativement restreint. C’est en effet l’application la plus interopérable qui soit aujourd’hui disponible en open access, et dont la communauté fait évoluer le code source. Chaque usager peut consulter le catalogue des notices bibliographiques en ligne, dont les métadonnées de description fournissent les informations d’usage. Il les importe ensuite par exemple sur Zotero selon la pratique la plus répandue chez les usagers. Pour répondre au profil d’application du fonds corse, il serait toutefois souhaitable avec le temps qu’elles évoluent de sorte à intégrer notamment la notion de plurilinguisme et de micro-localité, en faisant dériver les données générales de la notice existante d’une autre bibliothèque afin de les enrichir. Sans quoi l’usage du corse lors des requêtes reste minoritaire, donc inégal. Le débat est ouvert et tourné vers le devenir, sachant que l’indexation les notices n’intègre pas à l'heure actuelle cette nécessité.

En contrepoint à la mise en œuvre du fonds corse, émerge également un ensemble de questions juridiques plus général, lié à l’évolution actuelle des usages du savoir. Le fil sert à dévider l’écheveau… Prise au milieu d’une stratégie de diplomatie négociée dirons-nous, avec le droit d’auteur, la réforme en cours de la propriété intellectuelle située au carrefour d’enjeux techniques, commerciaux, patrimoniaux, éditoriaux et culturels se situe encore bien trop souvent dans le sillage d’une logique répressive pour tout ce qui touche au domaine du numérique. Et pour cause : les enjeux sont colossaux et les règles dépassées. Il serait néanmoins dommage que le monde de l’édition s’engage dans la voie d’un modèle « doré » à l’instar du monde musical et cinématographique. Comme chacun peut constater, ces dernières années ont fait littéralement repenser la fréquentation de ces lieux traditionnels d’accès au savoir, les bibliothèques, du fait de l'irruption (de la révolution !) du numérique. Le programme de la M3C, en portant pour la première fois sur la création d’une plateforme ouverte associée à un fonds pluridisciplinaire sur la Corse, dialogue comme bien d’autres projets, à l’avant-garde de la recherche. Eut-il été logique qu’elle fut épargnée ? Non bien entendu.

Quelles solutions locales ont été jugées envisageables ? Annuellement, les dossiers de demande de soutien à l’édition servant à appuyer l’édition des travaux scientifiques prévoient leur mise en ligne avec embargo sur le modèle de l’archive « verte ». Ces ouvrages sont dès leur parution commerciale, également disponibles au format papier dans la salle de consultation documentaire. Un à deux ans après selon les négociations, ils basculent sur la plateforme en ligne. Cette temporisation permet de faire vivre et coexister le patrimoine papier et le numérique.

Il semblerait tout indiqué de maintenir le cap vers une politique d’open access en perspective des futures campagnes annuelles de collecte documentaire de la M3C et à défaut de mieux, de perpétuer le modèle d’archive « verte » pour les publications d’ouvrages culturels ou scientifiques avec négociation des droits. La mise sous embargo quelques mois permet de tirer les bienfaits éditoriaux nécessaires et préalables à la libre consultation voire au libre téléchargement.

Quant aux collections des ouvrages de littérature corse, leur diffusion a été négociée sans nuire à leurs conditions d’exploitation commerciale. Ils figurent dans les collections « Ouvrages de littérature corse », « publications du Centre Culturel Universitaire (CCU) », « Revue littéraire Bonanova ». Ce sont en tout et pour tout, une centaine d'ouvrages en 2022 dont les droits sont acquis jusqu’en 2029, favorisant ainsi la diffusion en ligne d’éditions devenues rares ou épuisées. Pour ne pas nuire au double effet paralysant d’un lectorat restreint et des règles astreignantes de la propriété intellectuelle, l’adaptation du fonds corse à l’environnement numérique conduit à une fenêtre de liberté consentie qui favorise à moyen terme la pollinisation culturelle et la réutilisation des sources. On peut le voir à travers quelques chiffres :

Outre les productions éditoriales scientifiques et culturelles versées chaque année en sus des ouvrages de nature patrimoniale, la salle de consultation documentaire reçoit en 2021 le fonds Joseph-Antoine Canasi, important don de plus de 40000 documents originaux d'histoire et de littérature corse acté par convention. Nous l’expliquions plus haut, il s’agit là de l’un de ces exemples forts d’acte fondateur, de nature à identifier un lieu patrimonial.

Le fonds Canasi avait présenté d’emblée à son tout premier inventaire, un intérêt patrimonial opportun pour un programme scientifique comme le nôtre : d’abord il offrait un état de conservation plus que satisfaisant pour des documents d’édition restreinte sur la Corse, ayant parfois 100 ans et plus. Ensuite sa localisation non loin de Corte, permettait une facilité de stockage et de traitement avec des moyens humains qui restaient somme toute réduits. Enfin, la volonté affichée des ayants-droits du fonds Canasi, représentés par la commune de Nuceta, ne laissait aucun doute sur l’éventualité de verser ces archives à la recherche universitaire. Du point de vue chronologique, le fonds Canasi s'étale sur environ un siècle un quart, soit environ depuis l'année 1825 jusqu'à 1940. Son créateur a tenté d’y rassembler de son vivant absolument tout ce qui se publiait alors sur la Corse, de la revue à l’ouvrage, de la carte postale à l’affiche touristique, du journal à l’entrefilet. 

Point notable, une centaine d’« objets » sociaux issus du quotidien de la vie villageoise du siècle passé nous sont parvenus. Matériel de pêche et de chasse, créations personnelles, nasses tressées servant à piéger musaraignes et campagnols, instruments de musique, attirail du peintre, poterie, vannerie, outils agricoles, tout un ensemble disparate mais indissociable lié à la vie quotidienne profuse de ce touche-à-tout qu’était l’inventeur du fonds Joseph-Antoine Canasi, démontre l’habilité créatrice certaine de leur ancien propriétaire. Ce modeste héritage, mince en apparence, en ce sens qu’il est le témoignage de la « petite page d’Histoire » d’un Corse qui s’y est réfugié autant que possible lorsque le permettaient les grandes conflagrations du siècle passé, nous porte à réfléchir sur l’avenir qu’aurait ce genre d’objets atypiques dans une salle de consultation documentaire : la légitimité de leur présence à côté de l’objet livre s’entend, et l’utilité qu’ils pourraient avoir par exemple dans une collection idoine. La présence éventuelle d’objets patrimoniaux étant parvenue par prêt à long terme, au sein de la salle de consultation documentaire d’une Unité Mixte de Recherche du CNRS, n’est pas encadrée à ma connaissance par les textes officiels. Elle renvoie un peu à une forme concrète de savoir non instituée qu’il convient de valoriser sans que leur existence soit pour l’instant réellement contrôlée. Toutefois, elle ne saurait être niée : de nombreux services d’archives et des bibliothèques en détiennent dans leurs fonds propres. À la condition d’assurer une méthode de conservation optimale, un stockage à l’abri de l’humidité, de l’air pulvérulent et du soleil, il nous parut opportun de les mettre en marge du fonds documentaire, mais en les conservant. Pour les documents en revanche, il était primordial de ne pas commettre l’erreur d’égrener le fonds Canasi et retomber partant, dans l'un des travers les plus pernicieux du fonds corse en général.  Les objets s'allient aux archives : d'abord pour préserver une variété multisupport capable de témoigner de la richesse de transmission du patrimoine culturel corse. Enfin parce que les dernières technologies de reproduction par impression d’objets en trois dimensions, en partenariat avec un Fablab, pourraient apporter une plus-value dans le cadre d’activités pédagogiques assignées au patrimoine insulaire. Dans le cadre d’une opération de valorisation grand public, il n’apparaissait donc pas préjudiciable de faire parler l’objet d’archive sous tous ses tenants possibles.

Autre exemple, facilité par les outils numériques offerts aujourd’hui - on pense particulièrement à la démocratisation des casques d’immersion 3D - il semble bienvenu de réaliser une exposition virtuelle mettant en scène tous les types d’objets (livres, revues, affiches, cartes, postales, photos et ces « objets » patrimoniaux).

Par exposition virtuelle s’entend la présentation, grâce à un casque de réalité virtuelle et de notre site web, de contenus audiovisuels et textuels présentés selon un scénario défini : un accès permanent et libre aux documents numériques qui font suite aux expositions d’origine. Quand chacun le souhaite et sans contrainte de déplacement, tout le temps loisible est laissé à cette découverte conviviale et personnelle du monde de la recherche, au beau milieu d'un espace de médiation culturelle et scientifique. L’objectif est d’offrir une possibilité de consultation virtuelle et sous forme numérique des textes, des images, des lieux de vie d’un villageois et des objets qui en scandaient le quotidien. Dans cette découverte, le spectateur de l’exposition virtuelle muni d’un casque VR, a le choix d’évoluer à travers un parcours dynamique de scènes au format panoramique à 360° (place du village de Nuceta, église et ses alentours, fontaine). Le principe est qu’à partir d’un smartphone ou de l’interface du navigateur, le public puisse avoir accès à une sélection de supports patrimoniaux qui sont présentés dans leur contexte, autrement dit dans des trois espaces typiques et constitutifs du village de Nuceta. Les contenus textuels, visuels et audiovisuels sont mis en scène sous la forme d’un feuilletoir, ou de totems virtuels, placés sur une carte interactive du village mettant en parallèle les endroits où Joseph-Antoine Canasi a par exemple réalisé en 1918 des aquarelles, son chevalet, les pinceaux, couteaux, palettes, pinceliers qu’il a tenus, avec l’image réelle et actuelle de cet endroit en 2020. Les enregistrements sonores de textes en langue corse, issus des productions poétiques originales, participent aussi de la reconstitution immersive multisupport. Le tout est consultable à partir d’un parcours au fil duquel le spectateur interagit afin évoluer d’un média à un autre.

Il est en définitive possible de concevoir le fonds documentaire corse de notre salle de consultation, comme un lieu de vie de l'archive, où s'organisent la valorisation et la circulation humaines par le truchement du numérique. Ce lieu est bâti avec des ressources d'intérêt égal: le numérique qui lutte en ce moment même afin d'acquérir une caution scientifique, l’objet livre scientifiquement plus correct et l’objet patrimonial en voie prometteuse de reconnaissance. La salle de consultation documentaire facilite l’accueil et la circulation des universitaires et du grand public. Elle offre à tous un lieu de consultation du savoir, doté d’une aura patrimoniale léguée par des documents anciens et d’une politique pluriannuelle d’acquisition et d’achats en rupture avec le système confidentiel des bibliothèques corses personnelles, plurilocalisées et fragmentaires.

La salle de numérisation

La politique de numérisation des fonds patrimoniaux sur la Corse, s’est imposée dès l’ouverture du laboratoire « Lieux, Identités, eSpaces, Activités » (UMR 6240 LISA) comme l'une des grandes lignes à venir en Sciences Humaines et Sociales à l’Université de Corse Pasquale Paoli, avec toutefois quelques réticences et incompréhensions internes auxquelles l'évolution actuelle des Humaines numériques ne donne pas raison. Hors des 1634 mètres carrés du nouveau bâtiment Simeoni où se trouve notre laboratoire de recherche CNRS, nous n’avions pas encore à disposition la salle équipée de 100 mètres carrés, spécialement dédiée à la numérisation documentaire. Une mission d’inventaire avant-projet fut lancée, afin de connaître les besoins existants et d’établir un plan de numérisation en vue de la mise en œuvre de la future plateforme numérique M3C.

L’initiative prise en 2007, était alors à souligner : le numérique ne s’était pas encore imposé comme une nécessité de tous les instants dans le paysage de la recherche. Après une enquête menée localement auprès de la communauté universitaire, il était encore perçu comme un procédé de communication dont nous bénéficions tout au plus, des avancées pratiques. Un outil ponctuel, placé là en appoint : trop technique pour être intuitif, trop peu ergonomique pour être démocratisable, nous étions loin de la généralisation incontournable actuelle au sein des corps de métiers qui composent la communauté universitaire.

Les reliquats du Centre d’Études Corses qui se dota d’un remarquable centre d’archives de plusieurs centaines de titres au début des années 1980, établirent parmi d'autres une ligne directrice de cette mission préalable consistant à faire la recension exacte du fonds corse anciennement stocké au Palazzu Naziunale. Ceci permit de dresser un constat peu encourageant en vue de sa continuation. Alors dépecées, laissées en fragments, les collections signalaient de vastes absences. C’est toutefois dans une telle variété de formats et de supports (ouvrages, brochures, articles, revues et périodiques, feuillets volants, anciens catalogages, affiches, enregistrement sonores, audiovisuels, iconographie diverse, archives nativement numériques) que devait se dégager l'unité du fonds corse à la fois par le biais de la constitution d’un fonds documentaire (plus précisément une médiathèque puisqu’étaient présents, textes, sons, images, vidéos) et d’un fonds numérique. Il fallait se heurter à l’obsolescence des outils de lecture et d’exploitation des sources par décennies successives (années 70, 80, 90, 2000) et trouver par voie de conséquence une passerelle technique qui puisse concilier l’existant avec les formats requis pour l’archivage et le passage à l’outil numérique.

La numérisation, plus qu’un passage systématique à une technologie standardisée d’avenir, allait servir de liant opportun au fonds corse. Loin d’être pensé uniquement afin de faciliter les conditions d’accès aux données, l’accessibilité ou la diffusion de l’information, le numérique a permis de reconstruire afin de mieux le transmettre, un héritage culturel et patrimonial, de réunir et d’unifier l'épars en un lieu stable. La technique fut la clé d'une convergence. C’est ainsi qu’un tel progrès est apparu comme le meilleur expédiant possible à une exigence scientifique : où trouver des fonds sur la Corse et les Corses ? Où les verser ? Comment les réunir ?

Ces grandes lignes retracent assez laconiquement les mois de prospection ayant abouti à la naissance du programme M3C. Le mode opératoire devait concilier la spécificité de chaque support parmi les formats libres ou propriétaires, la technique de numérisation associée, les moyens de stockage, les solutions d’archivage. Les formats, très variés et les sources diffuses, ne devaient pas priver les données d’être interopérables une fois numérisées, et s’ouvrir sur des normes internationales dans l’hypothèse où notre entrepôt numérique soit un jour moissonné par une plateforme de données plus vaste, telle Isidore.

La chaîne de traitement des données suit un protocole de travail précis. Pour le format texte, il s’échelonne depuis l’utilisation d'outils de captation documentaire : des scanners à plat de modèle Digibook N&B et Copybook RVB dont l'UMR 6240 LISA a fait l’acquisition suite à une mise en marché. Pour les microfiches ou bandes microfilmées, le Canon MS800 vient compléter la lecture de documents affectionnés des médiévistes. L’image native est généralement obtenue au format TIFF avec une résolution spatiale de 300 ppp. La profondeur pouvant aller du noir et blanc à 24 bits, dépend de la grandeur de l’image et de sa nature.  Le traitement de l’image native, s’effectue la plupart du temps, à l’aide d'un traitement logiciel sur lequel on réalise systématiquement et pour chaque document un enrichissement qualitatif en plusieurs étapes. Trois filtres sont le plus souvent appliqués : le cadrage, la correction linéaire, le redressement de l’image. Un dernier module permet de contrôler la qualité du rendu final : son nettoyage, sa reconnaissance optique de caractères (OCR) et sa transformation en support de type PDF. Le rendu final est placé sur un serveur que sauvegarde journalièrement un lecteur de bandes en réseau. Bien entendu, la description ici globale ne pourrait rendre compte du cas par cas : si le document original est de qualité suffisante, s’il s’agit d’un manuscrit, d’un livre ancien, d’un document relié, d’un ouvrage thermocollé récent, si le volume de pages à traiter sur un ouvrage n’est pas trop important, si l’océrisation est efficace selon la qualité des caractères… tous ces écueils scandent une partie du quotidien de la salle de numérisation, l'autre étant vouée à la numérisation sonore et audiovisuelle sur la plupart des types de bandes et d'enregistrements image et son anciennement usités.

La salle d'immersion virtuelle

Cette salle de type CAVE 3D deux faces en L est équipée de deux projecteurs Christie Mirage WU14K-M associés à une lentille coudée qui a permis une projection directe d’un très haut niveau technique. D’une superficie de 80 mètres carrés de capacité et doté de 50 places assises, cet équipement innovant permet aux équipes de recherche de l'UMR 6240 LISA d’utiliser la réalité virtuelle et la 3D. Le logiciel Techviz se charge du tracking et de la gestion des contenus afin de le rendre exploitable. La salle offre des potentialités d’immersion totale dans différents milieux anthropisés ou naturels grâce à une qualité audiovisuelle et sonore exceptionnelle.

En ce qui concerne le programme M3C, l'usage de notre salle immersive est pour l'heure actuelle dévolu aux Micro-Folies. Cela n'en constitue toutefois pas un usage exclusif.

Le programme Micro-Folies est un dispositif de politique culturelle porté par le Ministère de la Culture et coordonné par l’établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette en lien avec 12 institutions : le Centre Pompidou, le Château de Versailles, la Cité de la Musique – Philharmonie de Paris, le Festival d’Avignon, l’Institut du monde arabe, le Louvre, le Musée national Picasso-Paris, le musée d’Orsay, le Musée du quai Branly-Jacques Chirac, l’Opéra national de Paris, la Réunion des musées nationaux – Grand Palais, et Universcience. Une Micro-Folie propose des contenus culturels ludiques et technologiques pouvant s’installer dans tous les lieux existants (médiathèque, salle des fêtes, lieu patrimonial, hall de mairie, commerce, école, centre commercial...) et ne nécessitant aucune infrastructure particulière. Chaque Micro-Folie est articulée autour de son Musée numérique. Réunissant plusieurs milliers d’œuvres de nombreuses institutions et musées, cette galerie d’art numérique est une offre culturelle inédite incitant à la curiosité. Beaux-arts, architecture, cultures scientifiques, spectacle vivant, c’est une porte ouverte sur la diversité des trésors de l’humanité. En visite libre ou en mode conférencier, le Musée numérique est particulièrement adapté aux parcours d’éducation artistique et culturelle. Le porteur de projet peut intégrer des modules complémentaires selon ses besoins, les structures existantes et les liens avec les initiatives locales. Nous avons étudié ce sujet avec les référents de la Villette afin de savoir s’il était envisageable de mettre en place les futures Micro-Folies au sein de la salle immersive de l’UMR LISA, à partir de l’équipement technique qui existe déjà dans cette salle. Partant de ce principe, sur l’ensemble des modules qui composent les Micro-Folies, notre choix s’est arrêté sur ceux qui correspondent à nos besoins précis et qui peuvent s’insérer dans la structure déjà existante de l’UMR 6240 LISA. C’est en particulier le module « réalité virtuelle » et le module « musée numérique » qui ont retenu notre attention. La Micro-Folie peut en effet offrir un espace de réalité virtuelle qui propose une sélection de contenus immersifs à 360° : documentaires, spectacles, séminaires, films, et toute autre forme de restitution culturelle et éducative à usage du public. Le module « espace atelier » dans une moindre mesure, serait également indiqué à l’implantation de notre projet au sein de l’UMR 6240 LISA, car il permettrait de maîtriser l’usage et la création d’objets en 3D, particulièrement dans la discipline archéologique. Un partenariat avec le Fablab de l'Università di Corsica Pasquale Paoli, permettra de compléter notre offre. Il convient de le noter, l’usage ici proposé de la salle immersive de l’UMR LISA ne correspond pas à une occupation exclusive des lieux : non seulement le Musée numérique s’adapte au lieu qui l’accueille, mais il se monte et se démonte facilement, permettant d’organiser d’autres activités dans le même espace. Concernant l’encadrement du projet Micro-Folies dans la salle immersive de l’UMR LISA, deux médiateurs formés sur les ressources internes de l’Université ou du CNRS, sont prévus pour accueillir le public et pour les guider dans la prise en main du Musée numérique et de sa programmation. L’ensemble du matériel de la salle immersive peut en conséquence, moyennant une phase de paramétrage, être utilisé pour le musée numérique des Micro-Folies.

Le lieu hautement symbolique prête aussi à prétexte. L’Università di Corsica Pasquale Paoli, implantée au cœur de la ville de Corti, ancienne capitale de l’île en plein centre géographique, s’inscrit dans le contexte d’un territoire rural à (re)dynamiser pour une meilleure cohésion sociale. Afin de répondre à cette demande et à la volonté politique au niveau territorial d’une généralisation des pratiques et des savoirs dans le domaine culturel et patrimonial, considéré comme valeur du territoire, l’un des objectifs du laboratoire de recherche en Sciences Humaines et Sociales, l’UMR 6240 LISA, est de proposer des outils scientifiques à usage social basés sur une connaissance du domaine corse ayant pour objectif l’acquisition de compétences culturelles par et pour le territoire. Le dispositif des Micro-Folies s’inscrit parfaitement dans une politique culturelle de déploiement de technologies innovantes liées à la culture du numérique. Il prend donc place à cette occasion, au sein de la toute nouvelle salle d’immersion virtuelle dont a été récemment dotée l’UMR 6240 LISA qui se situe au rez-de-chaussée du bâtiment Edmond Simeoni sur le campus Grimaldi.

Les Micro-Folies, une fois implantées dans la salle immersive de l’UMR LISA, constitueront outre cet aspect de sensibilisation indispensable et de démocratisation des nouvelles technologies du numérique, un projet de diffusion de proximité pour le public universitaire, pour le public scolaire du primaire et du secondaire, tout proche du campus, pour le public de la ville de Corti également, et plus généralement un facteur de cohésion sociale entre le monde de la recherche et le grand public.

Le déploiement des Micro-Folies répond par ailleurs à une demande sociale insistante, du fait qu’il se trouve dès lors maillé au programme B3C (Boost Cultural Competence in Corsica). Ce dernier s'est construit avec l’implication scientifique d'une équipe de 20 enseignants-chercheurs adossés au projet « Identités, Cultures : les processus de patrimonialisation ». Il a pour objectif d’accompagner les transformations sociales et culturelles de la société corse par transfert de compétences scientifiques vers les acteurs institutionnels, privés et associatifs de l’industrie culturelle et y compris touristique. Il s’agit d’organiser la chaîne patrimoniale afin d’activer un cycle de conception, production et diffusion de biens et services utilisant la créativité et le capital intellectuel de Corti, ville universitaire au service d’une innovation sociale; ceci en continuité du précédent PO-FEDER auquel nous avions émargé et grâce auquel le programme Médiathèque Culturelle de la Corse et des Corses (M3C) a été financée. Plateforme numérique ayant pour fonction de rendre le fonds corse accessible et compréhensible, la M3C constitue un gisement de données à exploiter dans le cadre notamment du projet B3C. À tous ces titres, l'implantation se justifiait d'une Micro-Folie au sein de la salle d’immersion virtuelle de notre laboratoire CNRS. Seul bâtiment de recherche en Sciences Humaines et Sociales en Corse, une partie de la surface totale de 1634 mètres carrés de l'UMR LISA se trouve ainsi dotée d'outils de recherche, de médiation scientifique et d'équipements innovants par l'entremise du programme M3C: salle de numérisation, salle de consultation documentaire, hall d'exposition et salle immersive dont bénéficient actuellement notre communauté de soixante-sept enseignants chercheurs, quinze ingénieurs et techniciens et soixante-dix-sept doctorants.

 

 

Rôle et responsabilité des équipes

La politique d’acquisition des fonds à numériser a nécessité la mise en place d’un conseil scientifique et technique afin de pouvoir définir une feuille de route, un budget, un prévisionnel d’activité, reconduits annuellement depuis 2008.

Comité scientifique (CS)

Mission : définir la maîtrise d’ouvrage à travers les objectifs scientifiques annuels de la M3C.

Composition : directeur du laboratoire, responsable scientifique de la M3C, responsables d'axe du thème de recherche "Identités, cultures : les processus de patrimonialisation", membre(s) extérieur (s) invité(s).

Attributions :

  • Décide de la coordination des moyens humains, techniques et financiers alloués au programme M3C
  • Établit la liste des fonds à acquérir, leurs objets d’étude et leurs référents scientifiques
  • Établit la politique de pilotage interne de la M3C à l’Université de Corse et avec ses partenaires extérieurs (laboratoires, équipes, projets liés, etc.)
  • Oriente le comité de traitement numérique (CTD) vers les choix de collecte des données auprès des particuliers ou des institutions

Comité de traitement des données numériques (CTD)

Mission : assurer la maîtrise d’œuvre par la réalisation de la plateforme M3C (site internet, salle de consultation documentaire, salle de numérisation, salle immersive)

Composition : Ingénieur d'études en analyse des données, Ingénieur en informatique, Technicien « documentation, édition, communication », stagiaires en numérisation et édition de corpus numériques, membre(s) invité(s).

Attributions :

  • Assure la viabilité de la chaîne de traitement des données par la mise en place de cahiers des charges
  • Coordonne les ressources et les méthodes permettant de produire des données numériques
  • Développe les outils et les interfaces nécessaires en fonction des besoins établis par le comité scientifique de la M3C.
  • S’assure du cadre légal et déontologique de l’acquisition des données par le biais d’un référent juridique.

Comité de médiation scientifique (CMS)

Mission : Faire connaître et participer au rayonnement de la démarche scientifique de la M3C, en transmettre les résultats aux divers publics.

Composition : IE médiation scientifique, IE analyse des données, Technicien « documentation, édition, communication », stagiaires en numérisation et édition de corpus numériques, membre(s) invité(s).

Attributions :

  • Conçoit le plan de communication de la M3C, s’assure de la diffusion des activités scientifiques
  • Contribue à insérer les projets finalisés (site internet ou salle immersive) dans l’événementiel du laboratoire LISA par le biais de séminaires, d’une newsletter locale et CNRS, de journées de restitution grand public, d’expositions in situ et itinérantes, de la vie de la plateforme M3C sur les réseaux sociaux, des actualités sur le site internet LISA, etc.
  • Assure le suivi d’une veille scientifique afin de mailler d’abord, puis d’entretenir un dispositif de partenaires et un réseau professionnel.

Nota bene qu'eu égard à la diversité des missions de la plateforme M3C et des branches d’activités professionnelles sollicitées (documentation, archivage, administration, aspects financiers, suivi juridique, recherche, appui de la recherche, logistique événementielle, valorisation scientifique etc.), l’organisation de l’équipe de maîtrise d’œuvre prend en compte la diversité des missions de ses membres.

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