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son ancien nom de El Khemi, "le pays noir" qui a l'air si peu en harmonie avec sa surprenante lumière. Immédiatement après l'expédition, c'est un noir pourpre, mais il reste de cette pourpre sombre ds les couches superposées de ce tchernoziom. Sur la rive gauche, des fellahs chargent des chameaux de pierres blanches. Ceux qui sont déjà chargés sont debout, le cou tendu vers nous, nous regardant passer de leur air lointain : ceux que l'on charge sont couchés : on met les pierres sur leur dos dans une sorte de filet grossier. Un peu plus loin, une femme en jupon rouge sous ses oripeaux noirs, marche dans le sable, une buire sur la tête, et d'une allure si majestueuse ! Des enfants puisent de l'eau au fleuve en y barbotant : à côté d'eux des oiseaux de Nil, au loin bec, noir et gris, se promènent avec gravité, sans nul effroi. Evidemment ils n'ont pas l'habitude d'être molestés. Nous venons de stopper et de nous amarrer à la rive droite, pour une réparation de machine, à 11h10. Tout l'horizon est peuplé de voiles qui rappellent un peu celles du lac de Genève, comme l'observe Murray. Je profite de l'arrêt pour terminer sur un autre carnet le récit fruste de notre excursion aux Pyramides. Et comme je finis, il semble que le Sérapis se décide à se remettre en marche.
Frances lit couchée sur le gd divan qui s'adosse à la cheminée, comme une Cleopâtre jeune, allongée sous le velum de sa trirème. Je songe à César et à la reine egyptienne fendant ces mêmes eaux, et j'ai l'impression que nous aussi, nous menons une vie royale, une vie inimitable, comme disait Antoine. Et je pense également aux deux Antoine, l'un, le jouisseur romain, l'autre, l'ascète hanté par la tentation que son homonyme n'évita jamais. A noter que ce matin, Saleh est apparu sur le pont, non plus dans ses impeccables vêtements européens dont il n'a gardé que le fez, mais en caftan et en gidda, avec la belle écharpe