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De Transcrire
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Reçu aujourd'hui, mercredi 30 mars 1898 la visite de madame Le Cor (c'est ainsi que le fils orthographie son nom), la femme de "mon frère Yves". Il y a quelque temps, le fils, un garçon de 19 ans passés était venu m'apporter des manuscrits de sa façon, en particulier une sorte de journal d'amour, un peu naïf encore, mais avec des traits ça et là qui ne laissaient pas d'être intéressants. Il m'annonça qu'il avait donné sa démission de maître d'études à l'école primaire supérieure de Quimperlé et qu'il devait partir au mois de mai, avec Loti, son parrain, pour l'Afghanistan. Il me dit aussi qu'il était en correspondance avec Theuriet et que celui-ci l'avait chargé de voir pour lui le pardon de Sainte Anne de la Palude (!). - Eh bien ! lui dis-je, mais alors il ne faut pas que vous comptiez partir en mai ! Au reste, tout cela est sans doute petites vanteries. Le Cor se contredit du reste à tout moment. Il me parle de Rochefort, de Loti, de son appartement, me dit qu'il imite son écriture à s'y méprendre, qu'il a même écrit pour lui plusieurs "autographes". Il a été élève au lycée de Rochefort où il préparait les mécaniciens de la marine. Loti payait sa pension. Il a du reste échoué, un peu parce que "son parrain, M. Viaud, ne s'occupait pas assez de lui", me raconte Mme Le Cor. Le Cor m'avait dit qu'il repasserait prendre lui-même ses manuscrits ; il se promenait, me disait-il, faisait connaissance avec les paysages de la région de Quimper. Il n'est pas revenu. Et c'est sa mère qui me vient aujourd'hui : elle a plus de quarante ans. Est un peu fanée de figure et de peau, mais a dû être jolie autrefois dans toutes les blancheurs de sa coiffe et de sa collerette de Rospordinoise. Elle s'informe si le Finistère publie les manuscrits de son fils (?) Pauvre bonne femme ! L'autre lui a conté comme cela tout bonnement qu'il allait se faire de l'argent, une fortune avec sa littérature. Alors, elle vient savoir sans doute s'il n'y a pas déjà quelque chose à toucher. - Au fond, elle est inquiète : elle ne croit qu'à demi les récits de son fils et elle est très peinée de le savoir sans situation : elle voudrait qu'il rentrât dans l'enseignement et me prie d'en parler à l'inspecteur d'académie. - Mais, et le voyage avec Loti ? - Oui, mais, M. Viaud est si changeant !